Les premières rencontres de la Troupe

Au moins une rencontre de la Troupe aurait eu lieu au mois de septembre, mais les premières notes conservées datent du 6 octobre 1970. Il s’agit de notes manuscrites du directeur Pierre Bélanger. Ces premières traces du projet nous apprennent qu’une réflexion sur le théâtre accompagne la première ébauche d’un scénario qui s’avère, dès cette rencontre, assez précis.

La première page du document daté du 6 octobre 1970 énonce de façon claire les principaux objectifs de la création collective, tant au point de vue des personnages, de la musique que de la méthode de travail. En effet, parmi les « problèmes à considérer », il faut :

        •  « Rendre les personnages humains et attachants »
        •  « Intégrer la musique (+ les paroles) à la trame de la pièce »
        •  « Élaborer ensemble une trame de base ».

Ainsi, on veut pouvoir se reconnaître dans les personnages, s’exprimer en ayant recours non seulement à la parole mais aussi à la musique et à la chanson, et travailler en collaboration.

De plus, la structure de la pièce est déjà évoquée : il s’agira d’« une succession de tableaux coupés de flashs musicaux et visuels ».

Enfin, dès le départ, on tient compte des contraintes en prévision d’une tournée, déjà envisagée : la pièce devra avoir entre 60 et 70 minutes, soit la durée d’une plage horaire dans le réseau scolaire.

La réflexion sur l’« action théâtrale » se poursuit, mais les ratures sur le document suggèrent que, très rapidement, on a renoncé à définir le théâtre, jugeant qu’il s’agissait d’« un exercice académique (i.e. futile) » pour miser sur une approche plus concrète, soit en faisant « une analyse de notre réalité. » En écho à l’article sous forme de manifeste signé « Molière Go Home », qui affirmait que le théâtre devait répondre à la question « Qui suis-je ? », les notes de Pierre Bélanger proposent que la Troupe réponde aux questions « qui sommes-nous » et « d’où venons-nous ».

Une fois ce principe d’une action théâtrale ancrée dans la réalité de ceux qui la pratiquent bien établi, la discussion porte sur la pièce elle-même. Ainsi, la suite du document propose un premier scénario, centré sur les personnages du père – un mineur de Sudbury qui travaille pour l’INCO, du fils – avec ses « grands cheveux » et de sa petite amie, « waitress », qui est enceinte.

Ces quelques notes confirment qu’une esthétique réaliste sera privilégiée puisque tout, « [l]es peignures, les bottes, les vêtements, le langage » doit être « authentique » et « magnifié ». De même, le décor doit être « réaliste (+-) », ce qui sera fait en utilisant des diapositives. Cette seconde page de notes réitère l’importance de la musique dans la pièce alors que « chaque crescendo d’action » devra être suivi de « musique et mime à l’avant-scène ».

On peut croire que les discussions se sont poursuivies dans un va-et-vient entre la réflexion plus théorique sur le projet lui-même et l’intrigue de la pièce. Ainsi, le groupe s’est interrogé sur l’aspect esthétique du projet d’un théâtre engagé ou « politisé », comme en témoigne cette mise en garde : « Danger du théâtre politisé c’est de faire des personnages vides, caricaturaux ». Mais les notes indiquent que l’on est bien vite revenus à l’intrigue elle-même, centrée sur sa propre « réalité » puisqu’on peut lire un résumé de ce qui est désigné comme étant l’« acte I » :

On développe ensuite une première mise en situation (« Une salle de restaurant. Une table de clients que Nicole sert. Ils sont trois. »), incluant une ébauche de dialogues entre les personnages, en optant pour un niveau de langue populaire, tout cela en lien avec l’esthétique de « théâtre populaire » que l’on a adoptée.