Le tout premier atelier d’écriture proposé dans le cadre de L’Écritoire bricolée sera animé par l’auteur Antoine Côté Legault et portera sur le personnage au théâtre. Afin de créer des voix uniques et originales, les participants seront invités à vivre une expérience d’écriture inspirée par les paysages sonores du musicien et compositeur sudburois Daniel Bédard.

Cet atelier convivial s’adresse autant aux curieux qu’aux passionnés d’écriture. On peut s’inscrire dès maintenant en remplissant notre formulaire en ligne!

L’Écritoire bricolée est possible grâce au soutien financier de Ontario Trillium Foundation et de Patrimoine canadien.

Quelques textes...

ÊTRE – au féminin
Anonyme

Comme la vague qui avance et qui recule, qui s’énergise et qui s’éteint sous le souffle de la vie… Faudrait-il retrouver le calme parfois dans la nuit pour plonger au tréfonds de soi, pour explorer un passé oublié, des tristesses refoulées, pour nager en toute liberté ? Se laisser vaguer sous la houle déferlante, s’immerger parmi toutes ces couleurs, toutes ces formes, tous ces mouvements, afin de faire naître en soi ce désir de ressentir, de trouver des trésors enfouis, des nouveautés excitantes, pour renaître à la vie, avec une nouvelle énergie, une autre force pour mieux mordre à la vie… pour mieux s’ancrer et laisser derrière ce vague à l’âme…

Mon corps ne bouge plus et si oui, très subtilement… mon esprit prend toute la place, le corps s’immobilise comme un lac à l’aurore, la goutte d’eau qui tombe, qui arrête, qui se diffuse dans l’eau : splash, plouf, ploc – le mystère de son bruit…  Une pluie de pensées : une tempête d’idées tambourine, à questionner ma raison d’être, mon rapport à la vie : Qui suis-je ? Quel est mon lien avec les autres, les émotions surgissent… Sans émotion, la vie se meurt, stagne… Comment rallumer son être, renouveler cette synergie entre toutes les sphères ?  Comme la baleine qui ouvre ses évents, voilà l’urgence de prendre une bouffée d’oxygène pour mieux retourner au plus profond de soi…

***

J’ai le droit de siffler, de cracher, de crier, de pleurer, de m’affirmer, de te dire d’aller chier…
J’ai le droit de m’épouvanter, de m’amuser, d’embrasser la vie, de vivre ma vie, d’enlever le masque et d’être qui je suis…
J’ai le droit d’être chagrinée, d’être fâchée, de dire ce qui me passe par la tête et le cœur, de faire connaître ma rage…
J’ai le droit de soulever toute roche, de décrocher, de mordre à la vie…
Je n’ai pas envie de stagner…
Je n’ai pas envie de stagner.
J’ai envie de déborder, de découvrir, de courir, de me libérer…
Le vent dans les voiles, je vague, libre et puissante comme la rivière sans barrage.
Je me lève, je dégage, je respire, je planifie, je pars, j’écoute, j’écris : mes pensées vont 100 000 à l’heure…
Je ne vois rien ou je vois tout, je ralentis et j’accueille…
J’augmente la cadence et le monde file à toute vitesse, je ralentis, je questionne, je regarde les flocons tomber aisément, la lumière, qui frappe leurs espaces vides, fléchit, s’absorbe ne laissant que teintes bleutées apparaître…

L’as-tu vue ou s’est-elle faufilée inaperçue? Je change de direction : Qui sera sur mon chemin ? Je gambade au rythme de la vie, je m’arrête aussitôt que l’autre croise mon chemin pour mieux l’observer, pour mieux, pour mieux l’accueillir, pour mieux l’interroger…

 

 

Mieux demain
Anonyme

C’est pas si pire que ça.
C’est pas si laid.
C’est même beau.

Il faut juste que t’ouvre les yeux, t’sais ? Pour vrai.
Que tu sortes ton kaléidoscope.
Ta longue vue de pirate.
Ton View Master rouge
Tes lunettes rose-néon.

Il faut juste que tu te concentres sur ce qui est là
mais que tu vois pas.

Sur les rayons caramel du soleil
qui bouncent dans les cheveux marrons de celle
qui rit en cascades en regardant son p’tit accroupie
qui flatte un Golden Retriever à trois pattes
qui liche un restant de cornet de crème glacé à la pistache
qui se creuse un lit entre les craques du trottoir luisant
qui s’étend jusqu’au bout de le rue Durham
qui rejoint le début du ciel de l’autre bords des wagons
qui dansent doucement devant toi avec leurs graffitis
qui offrent un délicieux Finger à la journée qui se termine et
qui sera mieux

demain.

 

 

Chu ben fucké dans mon identité
Donald Dennie

quand chu né
Mathilde et Joseph
y m’ont nommé
Francis-Xavier
pi chu devenu Frank J.
cé pour ça
que chu ben fucké
dans mon identité
toute ma vie j’ai essayé
de l’cacher
d’abord à moé
pi à tout l’monde
ça dû marcher
pass’que tout l’monde
y m’ont toujours appelé
Frank J.
mé pour moé
cé plus compliqué
pass’que chu toujours pogné
avec Francis-Xavier
pi cé pour ça
que chu ben fucké
dans mon identité

chu né dans un pays
english. scottish.
in Guelph, Ontario
canayen-frança, écossa
pi iroquois.
ou est-ce
iroquois, canayen-frança, pi écossa.
don’t know, don’t matter, don’t care
ça cé pas vra
pass’que j’aime pas ça
être fucké dans mon identité
parsonne le sé
nobody
except moé.
et j’aime ça
que parsonne le sé
ça garde mon identité
ben masquée
sauf pour moé
et ça m’ma en crisse
d’être toujours pogné
entre Francis-Xavier
et Frank J.

des fois Frank J.
mon moé principal
y’en veut à Francis-Xavier
d’être Francis-Xavier
iroquois, canayen-frança
and sometimes Francis-Xavier
is fuckin pissed off
at Frank J.
for having become Frank J.
the liar, the wannabe
angla, écossa, or is it irlanda
even Frank J.
don’t fuckin’ know
pi ça m’ma en crisse
mé j’sé pas contre qui
Francis-Xavier
or is it Frank J.

mé au bout du compte
j’ai fa une bonne vie
deux fois marié
à Cécilia, décédée
pi à Mérange
toujours à mes côtés
pi sept enfants – non huit –
un tué
ça j’veux oublier

j’ai fa ben des métiers
bûcheron, prospecteur
propriétaire, entrepreneur
hôtelier. mon préféré
pour ça que l’argent
ça m’a jama ben ben bâdré
ou pas beaucoup
que j’sois Francis-Xavier
ou Frank J.
on m’demande des fois
d’où j’viens
de l’Ontario that’s for sure
mé j’viens aussi de pays lointains
le tien
Mathilde
pi l’tien
Joseph
ton iroquoisie Mathilde
ton Québec joseph
mon pays lointain c’en é ben deux
not one
différents, voisins
inter-mariés mais séparés
sans s’connaîte
sans vouloir s’connaîte
l’un a dominé, assimilé
l’autre a cherché
de s’en sauver
cé pays lointains
j’lés é pas connus
vous m’les avez cachés
Mathilde et Joseph
cé pas vot’ faute
j’l’sé ben
for in Ontario
better not to know
mé aujourd’hui
cé pour ça
que j’sé pas
si chu François-Xavier
ou Frank J.
et que
chu toujours fucké
dans mon identité

 

 

Crises
Alex Tétreault

Quessé je fais-là? Pas icitte en particulier, ché bein que chu dans mon propre lit, seul, à fixer un spot au plafond qui semble grouiller dans la noirceur comme si c’était une grosse araignée—eille crisse ça ferait mieux pas être une araignée!

Qu’est-ce que je fais là, dans la vie…puis qu’est-ce que je vais faire? Pourquoi est-ce que c’est toujours à trois heures moins quart que ma crise existentialiste me fesse? Fuck, ch’comprends pu rien…

Qu’est-ce qui m’a mené ici? Dans ce lit, pris à fixer ce spot au plafond, en train de me questionner sur ma vie, sur mon avenir, pendant que cette lune immense me trempe dans sa lumière, comme un gros spot sur mes insécurités?

Fuck it. Ch’ferme les blinds.

*****

Respire…calme…je ne comprends toujours pas ce qui m’arrive, ce qui se passe, le sens de quoi que ce soit et surtout pas de moi-même. Personne n’a les réponses, même ceux qui ont l’air comme s’ils les ont. Être perdu, c’est naturel!

Il faudrait bein que je prenne mon temps, la vie c’est pas une course! C’est un canard qui chill sur le top de l’eau et qui se laisse emporter par le courant. Il le sait pas lui ce qu’il y a sous l’eau, ou ce qui l’attend juste autour du croche, mais il s’assoit là pareil, bein chill.

Fuckk off lune, fuck off gros spot qui a l’air de grouiller su’l’plafond—qui ferait quand même mieux pas être une crisse d’araignée!

M’a faire mon canard.

*****

J’aime la lune.
Je n’aime pas sa lueur accusatrice.
J’aime la nuit, son calme, son silence.
Je n’aime pas la nuit, son calme, son silence qui amplifient le tintamarre que j’ai dans la tête.
J’aime la vie, avec toutes ses surprises.
J’aime vivre.

*****

Je suis mon propre pire ennemi. Je me bûche constamment à mon propre bagage, toute le shit que je traîne avec moi depuis toujours, les petits moments d’angoisse, d’anxiété que j’ai vécu quand j’avais fucking six ans. Je peux jamais être content parce qu’il y a c’te spectre là, mes vieilles fucking niaiseries qui sortent de ma swamp neurologique quand je veux juste être content. « Eille, cool, la journée va bien!—Oops, non! Je dois me souvenir du malaise profond que j’ai senti en appelant mon enseignante de 2e année ‘Mom’ » On peut pas se purger de ce shit là? Crisser ça dans une corbeille, faire le alt+ctrl+delete puis juste faire taire ces vieilles images? Bein non, ça serait en demander trop à mon subconscient de me crisser la paix, le temps que je m’endorme.

*****

Assis dans le char, attendre que le train passe. Bof, chu pas pressé à matin. Le dude en arrière de moi dans sa grosse pickup qui crache des obscénités noires dans l’air, a l’air visiblement en crisse. Pauvre bonhomme. Chu pas pressé, m’en va juste faire mes groceries. Dumas sera encore là dans dix minutes.

Je me demande souvent ce qui m’arriverait si le train débarquait des rails et se parallel parkait sur la Kathleen. Si je me fais aplatir, ce qui serait sûrement le cas, y’a pas grand chose que je peux faire. On le verrait pas venir! Aussi bein crainker le Fleetwood pis vivre!

Anyway, c’est toujours quand la musique tait tout, surtout le bonhomme derrière moi, que je peux réfléchir clairement, prendre stock de ma vie.

Pis, chu bein.

Enfin.

*****

« Allô, Mom. Ça va bien. Je sors pour souper, là. À plus tard. »
Je sais plus quoi lui écrire. Je lui ai dit que j’allais la tenir au courant, y donner des updates, mais ça me tente pas pantoute.
Ses messages encourageants baignent dans le jugement.
Ses compliments, rares comme ils sont, laissent toujours un goût amer dans les oreilles.
Ses « Je t’aime…» ne reçoivent qu’un silence en réponse.
Est-ce que je suis une mauvaise personne?

 

 

Foncer tête baissée
Chloé LaDuchesse

Après-coup je vois le mur s’effondrer. Tout ce temps cette barrière en moi. Cette digue fissurée. J’ai foncé dedans à m’en rentrer les cornes sous le front. J’ai tourné autour comme un papillon obsédé par la flamme. Le mur a cédé. Et tout a été pire – bien pire.
Je n’ai plus eu la force de me battre.
J’aurais dû me sauver de mon entêtement aveugle.

*

Le monde je le bouffe. Ce que je perds en talent, je le gagne en insistance, en persistance. Petite classe, petite vie, grands rêves. Depuis que je suis kid, me sortir de la merde par la force de mes poignets. J’entends encore ma mère, T’es pas brillante mais qu’est-ce que t’es tenace. Je me suis battue pour tout, un morceau de pain, un emploi, le respect. Je ne sais pas où tout ça va me mener, dans les tripes, je sens la mort qui rôde, demain je pourrais crever. Alors je fonce avant qu’elle ne me rattrape.

*

J’aime le son de la pluie sur les toits en tôle.
Je n’aime pas les gens qui se prennent la tête pour des vétilles.
J’aime l’adrénaline des rues à l’heure de pointe.
Je n’aime pas le mépris des riches, leur regard quand ils voient des jeunes qui jouent au soccer dans le parc.

*

Elle est là, assise sur ses protocoles. La travailleuse sociale. Celle qui va casser ma vie. Tout ce qu’elle fait, elle le fait à peu près, même mettre du rouge à lèvres. Elle s’en fout bien si son incompétence fait de nos vies des enfers; elle applique y basta. Et la nuit, qu’est-ce qu’elle dort bien. Avec elle, c’est comme passer un examen : il y a des bonnes et des mauvaises réponses. On est une bonne ou une mauvaise personne. Des nuances, de l’humain? Laisse-moi rire. Aujourd’hui, elle me tend des formulaires tous neufs, parce que, eh bien, ceux de la semaine passée c’était pas les bons. Des heures que j’ai mis à les remplir, à aller chercher les étampes et les signatures, elle s’en fout bien. Puis elle me reproche de ne pas trouver un meilleur boulot, de ne pas rapiécer cet accroc juste sous le col de ma chemise, comme si j’avais la tête à ça. Comme si l’anxiété qu’elle me pellète à la gueule ne me laissait pas complètement paralysée, exténuée.

*

L’orage a lavé les rues. Ce matin tout brille, les gouttes d’eau suspendues aux fils et aux balcons étincellent. Je pourrais convaincre un policier de me donner sa matraque tellement j’ai la forme. Langue et jambes déliées, j’arpente le quartier, dis bonjour au gars du dépanneur qui débarre sa porte, au camelot. Ce soir on mangera bien, j’achèterai une bouteille de gin. On prendra le temps. Déjà les voitures remplissent les boulevards. Je slalome entre les camions de livraison, les motocyclettes. Je suis invincible. Personne ne va m’écrabouiller. Pas aujourd’hui en tout cas.

*

Chère M.,
J’ai pris le bord, comme on dit. J’ai mis les voiles, sauvé ma peau. Certains viennent ici pour se ressourcer, puis retournent chez eux, prêts pour un autre 18 mois de travail insensé avant le prochain burn out. Moi je sais bien que je ne reviendrai pas d’ici. Pas vivante, en tout cas. Je me cache pour me défaire, m’abandonner. Tranquillement, je disparaîtrai. J’ai tout donné, ne reste que le corps. Je l’ai soustrait à leur emprise de justesse. La fatigue a fait ses métastases jusque dans mes os. Maintenant ils sonnent creux, par eux je perds mon souffle. Maintenant je suis irrécupérable, éteinte, et sereine.
Ne me cherche pas.

 

 

Ne, ne, ne, non…
Marie-Pierre-Proulx

Ne, ne, ne, non… Ben non. Hell no. T’es malade. Jamais. Je veux pas. Je peux pas faire ça. C’est juste… Je serai pas capable. Arrête! Pousse pas. J’ai dis touche-moi pas ! Je veux pas y aller. J’suis pas capable, j’suis… Non ça va pas m’aider de respirer. Ni de fermer les yeux, je vois déjà rien, criss. Non, non y’a pas de paysage qui apparait quand je ferme les yeux. Non, c’est pas zen, pas de chute, pas d’oiseaux, pas de pluie, pas fuck all ! Le même vide en dedans que dehors.
C’est pu drôle, okay ? Reviens. Laisse-moi pas icitte. J’suis pas capable. J’suis juste pas capable, man, Okay !? Je vois rien. Je vois même pas mes mains. Je… J’pas ben. Esti que j’suis pas ben. J’ai mal à la tête. J’ai mal au cœur. S’ti, j’ai mal aux yeux à force d’essayer de voir quelque chose ! À l’intérieur. J’ai mal à l’intérieur de mes yeux. On dirait qu’ils veulent sortir. Sortir de leur orbite. Débouler en bas de moi. Pu m’appartenir.
Je veux pu m’appartenir.
Je veux pu être là.
Je veux pu rien.
Je veux juste…
Trou noir.

Toi.
Toi avec ton clavier.
Avec tes mots coup de poings.
Avec tes mots en dent de scie.
Tu fesses. Tu rentre dedans. Tu déchires. Tu déchiquètes.
C’est fini.
Je vais me cacher derrière mes paupières.
Je vais me mettre un Life Jacket.
Je vais m’attacher deux, trois bouées.
Pour pas caler. Pour rester à la surface.
Tes mots sont rien que des mots. À peine de mots. À peine des enfilades de syllabes. De consonnes. De voyelles. À peine de minables lignes noires approximatives sur l’écran…
qui veulent rien dire.