21 octobre, 2020 • Posté par Priscilla Pilon
Des nouvelles de nos artistes : Alex Tétreault!
De retour avec la série Nouvelles de nos artistes, nous nous sommes entretenus avec Alex Tétreault, auteur faisant partie de la série de lectures publiques TNO : Unplugged !
Notre stagiaire en communications, Jeffrey Kambou, lui a posé quelques questions sur son texte Nickel City Fifs qui sera mis en lecture ce jeudi au TNO.
Jeffrey: Quel est le thème de ton texte ?
Alex: Ben, mon texte touche un peu à tout en termes de ce qui concerne la communauté queer. Donc on parle de culture populaire, les relations avec la police, le SIDA, la liberté sexuelle, l’intersectionnalité, la thérapie de conversion, bref un peu pas mal tout. Mais je dirais que thème central c’est le legs et la transmission.
À son cœur, l’histoire c’est celle d’un jeune qui commence à se découvrir en tant que personne queer à Sudbury, mais qui ne sait pas comment s’y prendre. Il est amené dans un monde flyé, weird et ridicule, mais qui est quand même ancrée dans les expériences vécues par les personnes queer.
Sans le coup de pouce qu’il reçoit de la part des autres personnages, il demeurait ignorant de l’histoire, de la culture riche de la communauté et comme la transmission ne se fait pas de façon naturelle au sein de la communauté queer, comme elle se fait au sein des familles et des institutions franco-ontariennes par exemple, ça prend vraiment cet appui externe. Parce que sans ça, des pans complets de l’histoire, des expériences et des personnalités marquantes sombrent dans l’oubli.
J: J’imagine que c’est probablement inspiré de faits réels de votre vie ou des gens que vous connaissez ?
A: Un peu. Au tout début, le projet se voulait en partie du théâtre documentaire. Donc j’allais rencontrer des gens récolter leur expérience, leur vécue et m’inspirer de ces choses-là pour créer un texte. Puis quand j’ai commencé à faire ce processus, je me suis rendu compte que c’est un énorme travail en soi parce qu’il faut aussi mettre son chapeau d’historien qui est en train de faire un mémoire de maîtrise, donc j’ai mis ça un peu sur la glace. C’est certain que j’aimerais ça avoir ce genre de témoignage dans un projet. Ça viendra plus tard.
Pour ce texte-ci je pense que juste à travers mes propres expériences et des histoires que j’ai pu entendre d’autres personnes dans mon entourage direct, je suis venue à bout d’écrire quelque chose qui je crois est quand même assez représentatif. Je ne veux pas dire que c’est universel puisque bien sûr je suis quand même une personne qui possède énormément de privilèges sociaux. Je ne peux pas parler de personne racisée queer. Je ne connais pas leurs expériences. Donc je me base sur la mienne, mes propres recherches et celles des gens autour de moi.
J: Est-ce qu’il y quelque chose qui vous a inspiré à écrire sur ce sujet ?
A: Oui, bien, il existe encore très peu de représentation queer en Ontario français, encore moins à Sudbury et je voulais combler à ce manque-là. Premièrement, je voulais écrire quelque chose auquel les jeunes francophones queer du coin pourraient s‘attacher ou s’identifier. Je sais que moi dans ma jeunesse ça m’aurait aidé énormément. Parce qu’avec très peu de modèles accessibles, c’est difficile pour un jeune queer de naviguer cette communauté qui demeure toujours marginalisée. On en apprend très peu à son sujet à l’école. Donc on dépend énormément des vétérans de la communauté pour apprendre l’histoire.
Deuxièmement, c’est aussi une chance pour les franco–sudburois de rencontrer une autre minorité, de mieux comprendre ses luttes et voir comment les deux sont vraiment similaires. La communauté franco-ontarienne, à ses débuts, c’était un mouvement qui ressemble encore à ce que les personnes queer sont en train de faire en ce moment. Donc je voulais agencer ça autant que possible.
Donc dans le texte, il y a comme un équilibre entre le désir de vouloir écrire pour une communauté tout en s’assurant que l’ensemble de l’histoire reste accessible pour la majorité. Et même avec ça, je pense avoir quand même réussi à glisser assez de messages subversifs dedans.
J: Est-ce que c’était important de situer ce texte à Sudbury ?
A: Oui. Il n’y a pas beaucoup de représentation queer à Sudbury. La communauté n’est pas aussi présente qu’elle l’est dans les grandes villes comme Toronto ou Montréal qui les deux possèdent un village pour la communauté. Donc il y a comme un manque de masse critique pour pouvoir nourrir les projets artistiques qui parlent de cette communauté. Même au cours de ma recherche j’ai lu des recueils ou des essais qui parlaient des luttes queer à travers le Canada et on ne parlait jamais du nord. La seule fois qu’on parlait de Sudbury, c’est dans un livre où il y avait une entrevue avec deux femmes lesbiennes qui vivaient à Toronto depuis je ne sais pas combien longtemps, mais qui toutes les 2 venaient de Sudbury. C’était comme la seule mention.
C’était important pour moi de parler de la communauté tel que je la vois, mais aussi pour laisser la marque dans l’imaginaire collectif. Oui, malgré le fait que Sudbury est loin des grands centres, est un village ouvrier, on a quand même une communauté et une culture vibrante qu’on devrait découvrir.
J: Est-ce que c’est votre premier texte ?
A: Pendant mon secondaire, j’étais assez chanceux de participer aux draveurs donc là c’étaitdes créations collectives. À l’Université Laurentienne, c’était aussi des créations collectives. L’année passée j’ai pu contribuer un peu à Plein la gueule. Certains extraits de mes textes que j’avais soumis apparaissent là-dedans.
Je dirais que mon premier vrai texte à être lu en public, c’était en novembre dernier c’était un texte qui s’appelait Sursis. C’était un texte tout court de 7-8 minutes qui avait été présenté dans le cadre du projet En grève autour de théières fumantes. Il y a comme le feeling que tu reçois quand tu es dans la salle et que tu entends ton propre texte être lu. C’est complètement magique. Donc ce soir c’est la première répétition avec les comédiens pour ma mise en lecture donc j’ai hâte.
J: Comment a été l’expérience d’écriture comparée à Sursis ?
A: C’était différent dans le sens que pour Sursis on avait quand même des balises. Comme c’était dans le cadre d’un projet ou j’étais un de 11 auteurs invités. On avait, je pense, 1 mois et demi pour pondre un court texte. Pour écrire le texte il fallait s’inspirer d’une conversation qu’on avait eu autour d’une théière justement avec une personne qu’on admire.
Dans ce cas-ci, il n’y a pas de balises. Je ne suis pas en train de suivre des guidelines. Je suis vraiment en train de me pitcher dans le néant et espérer qu’à la fin il y a quelque chose qui en découle et qui a de l’allure. Donc c’est vraiment totalement différent.
J: Vous êtes récipiendaire de la Bourse création TNO-Geneviève Pineault, en quoi cela vous a aidé dans l’écriture de ce texte ?
A: Oui ! Je n’y serais pas arrivée sans la bourse ou alors ça aurait pris encore plus de temps que ça m’a pris. La bouse m’a permis de faire une petite résidence d’écriture à la fin février où je suis débarqué à Montréal dans un RB&B puis je me suis commandé des smoked meat et des bagels pendant une fin de semaine et j’ai juste écrit. Donc ça je n’aurais pas pu me le permettre sans l’appui bourse.
Et l’appui m’a aussi permis de me trouver des ressources qui ont été importantes pour me familiariser davantage avec l’esthétique théâtrale et scénique queer. Comme c’est quelque chose auquel on n’est pas très exposé à Sudbury ça a pris quand même un peu de recherche du côté théorique pour pouvoir comprendre c’était quoi cette esthétique–là. Parce que je voulais quand même incorporer ces éléments dans le projet.
Puis en plus de ça Marie-Pierre [Proulx] m‘offre des conseils artistiques, m’accompagne du côté plus administratif comme avec les demandes de subventions. Donc ça c’est utile quand c’est ton premier gros projet donc tu n’es pas nécessairement habitué à tout le processus. Puis j’avoue que c’est aussi l’fun de recevoir une reconnaissance comme ça de ses pairs puis ça fait chaud au cœur.
J: Pourquoi avez-vous accepté de faire cette mise en lecture ? Est-ce que vous recherchiez le même feeling que vous avez eu lors de votre première mise en lecture?
A: C’est certain que lorsqu’on est artiste on cherche toujours ce feeling. Donc c’est certain que ça a joué un rôle, mais dans le fond je pense que mon texte est rendu à l’étape où j’ai besoin de l’entendre pour continuer à le développer. Sursis c’était vraiment l’étape finale. Le but ultime c’était les lectures publiques, mais pour ce texte-ci, c’est vraiment qu’une étape dans le développement. Donc moi je veux savoir qu’est-ce qui fonctionne, où sont les longueurs à couper, ce qui mériterait d’être mieux expliqué ou abordé. Je vais l’entendre pour la première fois ce soir, donc je pourrais voir ce qui semble maladroit dans la bouche des comédiens.
Et comme j’assure la co–mise en scène de la lecture avec Dillon Orr, je vais être en salle avec les comédiens tout le long. Je pourrais plus rapidement faire des modifications au texte et tester des affaires donc ça devient un peu comme un laboratoire pour moi. On a juste 20 heures de répétitions, ça fait que je ne peux pas m’éterniser là-dessus. Mais pour moi, après avoir eu le nez collé dans le texte depuis des mois, j’ai hâte de voir comment mon texte va survivre à la mise en lecture
J: Vous prévoyez faire des modifications avant la mise en lecture ou les faire à la suite de cette lecture ?
A: On en a déjà fait quelques-unes. On a fait un travail de triage, choisir les didascalies à lire, quel comédien va dire quoi, comme ils doivent interpréter plus d’un personnage, tweaker les transitions, les répliques en trop à couper. J’ai l’impression que c’est quelque chose qu’on va faire jusqu’à la dernière minute. Mais c’est normal, c’est la première fois que ce texte-là prend vie sur scène donc il faut l’ajuster en conséquence.
J: Quels sont vos futurs plans pour ce texte ?
A: Je planifie continuer de le développer. Il y a certaines choses qui s’enlignent cette année que je ne peux pas encore discuter et au courant de la prochaine année je planifie déposer des demandes de subventions. Idéalement, ce serait le fun qu’un beau jour le texte soit monté pour de vrai à Sudbury. Quand ? Je ne le sais pas parce qu’on est en pleine pandémie. Donc j’essaie juste d’être réaliste. Il va continuer d’avancer et d’évoluer et je ne sais pasexactement où ça va mener.
J: Est-ce qu’il y a d’autres textes à l’horizon ? Prévoyez-vous continuer à écrire ?
A: Oui. Je veux dire ce que je vais écrire après ça, je ne suis pas trop certain. Il ne manque certainement pas de bullshit dans le monde contre laquelle il faut chialer. Donc, je vais trouver un autre projet à un moment donné.
J: Qu’avez-vous fait durant la pandémie ?
A: Je n’ai pas chômé. En plus d’avancer sur Nickel City Fifs, mon printemps et mon été ontété dédié à Fierté Sudbury et à organiser une semaine de la fierté virtuelle et en bout de ligne c’était pas mal ça mes vacances. À part de ça je pense que j’ai vécu ça un peu comme tout le monde c’est-à-dire en grosse crise existentielle.
Au début, je regardais religieusement les nouvelles pour avoir toutes les mises à jour et je me suis vite brulé en faisant ça. Éventuellement, je me suis calmé un peu. Ces temps-ci, je passe énormément de temps avec mon chum et ma chatte. Je fais des LEGO, on regarde beaucoup de téléséries cultes comme Desperate Housewives et Golden Girls. Et quand je le peux, pendant qu’il fait encore beau, je vais visiter mes grands-parents. Je reste sur leur perron pour leur faire un petit coucou. C’est dôle de penser qu’en mars je me disais que tout allait être good avant ma fête en août et là je ne sais pas de quoi ma prochaine fête va avoir l’air.
J: Comment ça a été de planifier la semaine de Fierté en ligne ? Avez-vous changé de cap à la dernière seconde ?
A: Ben, cet été ça s’est assez bien passé parce que tout a été annulé en mars. Nous on a pris la décision assez rapidement d’annulé la semaine qui était prévu pour le mois de juillet entre–temps on a pu réussir à monter quelque chose virtuellement. Cette année, je ne sais pas ce qu’on va faire. C’est en juillet, il y a encore beaucoup choses qui peuvent changer. Je pense qu’on va essayer de prendre ça relaxe encore cette année. Tout le monde est à bout. Les affaires virtuelles il n’y a personne qui veut en faire. On va voir.
J: Avez-vous une recommandation quarantaine ?
A: J’ai récemment découvert le podcast 2fxfslematin, qui est quelque chose que j’apprécie énormément. C’est un petit plaisir, queer hebdomadaire francophone animé par deux personnes queers de Montréal. C’est rare d’entendre ces discussions-là avoir lieu en français.
J: Si vous pouviez émettre un souhait pour le milieu artistique suite à la pandémie, ce serait lequel ?
A: Qu’on arrête la machine. Le milieu théâtral, souvent parce que les bailleurs de fonds l’obligent, doivent toujours innover, créer des nouveaux projets, toujours en faire plus tout en essayant de remplir ses salles. Puis bien sûr c’est important de réfléchir à ce qu’on fait, à trouver des nouvelles façons de faire qui sont peut-être plus intéressantes, etc., mais tout ça ne devrait pas être une fin en elle-même. On a le droit d’être doux avec nous-mêmes, on fait pas face à des questions de vie ou de mort. Puis la logique de productivité capitaliste là-dedans, ce n’est juste pas logique.
Donc, je ne veux plus qu’on retourne à ce que c’était avant la pandémie. Je pense que ça, c‘est mon plus gros souhait. Ça et, évidemment, plus de financement. Parce que si on avait à recommencer la pandémie sans Netflix, sans livre ou sans puzzle, j’aimerais qu’il y en ait un ou une qui me dise que les arts ou la culture sont pas essentiels.